Histoires pour enfants

L’Œil Secret du Labyrinthe

Histoires pour enfants

Louis, détective déterminé et méthodique, se réveille un matin dans un labyrinthe immense où chaque couloir semble doté d’une volonté propre. Avec l’aide d’un chat sarcastique et d'un ancien maître d’échecs à la mémoire vacillante, il devra élucider une série d’énigmes menaçantes, déjouer les pièges du Gardien des reliques et, surtout, retrouver la légendaire bibliothèque cachée dont les livres pourraient révéler la vérité sur ce lieu mouvant… et sur Louis lui-même.
L’Œil Secret du Labyrinthe

Chapitre 1 : Le Labyrinthe aux Ombres Glissantes

Louis, onze ans, n’aurait su dire depuis combien de temps il avançait dans l’obscurité sinueuse du labyrinthe. Depuis son réveil, étendu entre de hautes haies ourlées d’épines sombres, la sensation de malaise — celle d’avoir été arraché à un rêve trop net ou à un souvenir trop flou — ne l’avait pas quitté. Son manteau froissé, serré sous ses bras maigres, capturait l’odeur de terre humide. Son cerveau de détective, jamais vraiment à l’arrêt, notait tout : drapés de brume flottant entre les haies tordues, cris d’oiseaux inconnus, bourrasques murmurant des syllabes indistinctes au ras du sol. Il n’y avait ni lune, ni soleil, seulement une clarté blafarde qui ne semblait appartenir à aucune heure.

Posé là, en quête de repères, Louis faisait défiler dans sa tête une liste de questions, méthode fidèle de tout bon observateur : Où suis-je ? Qui m’a amené ici ? Et surtout… pourquoi sentais-je que chaque détour du chemin abritait un secret que j’aurais dû connaître ?

À peine eût-il contourné un coude du sentier qu’un miaulement dédaigneux vrilla l’air. D’abord une paire d’yeux comme deux agates jaunes, puis une silhouette souple et noire se découpèrent, assises sur un rocher. Le chat le toisa avec une insolence millénaire. Sa moustache frissonna.

— « C’est bien la première fois que je vois un détective avancer en baissant la tête… Tu comptes inspecter le dessous des brindilles ou trouves-tu la mousse suspecte ? »

Louis, que rien ne décontenançait jamais tout à fait, observa la bête avec soin. Chat de taille moyenne, pelage laqué, queue ondoyante dont le bout semblait pointer par intermittence au nord, ouest, sud — comme une boussole détraquée. Sa voix rauque avait, chose étrange, l’accent d’un narrateur de feuilleton policier.

— « Tu fais partie du décor ou tu sais aussi t’y retrouver ? » tenta prudemment Louis.

— « Je suis l’éminence grise du Labyrinthe, le roi sans trône, la question avant la réponse... ou, plus prosaïquement, celui qui connaît toutes les sorties possibles sauf la tienne. Et toi ? Pas bien bavard, pour un enquêteur. »

Louis haussa les épaules, feignant l’indifférence, même si, intérieurement, il figeait chaque détail. Les chats, dans les histoires, ne sont jamais ce qu’ils semblent être.

— « D’accord, Eminence, éclaire-moi : ce labyrinthe, il mène où ? »

Le chat bondit lestement à ses côtés, queues en panache, et poursuivit, tout en trottinant le long de la haie :

— « Vers ce que tu cherches… ou vers ce que tu ignores avoir perdu. Ici, tout le monde finit par croiser la bonne question. Et la mauvaise réponse, aussi. »

Louis lui emboîta le pas. Bientôt, ils atteignirent une intersection où les murs de la haie s’évasaient, formant une large clairière baignée d’une lumière laiteuse. Au centre, trônait une statue lézardée, haute d’un homme, dont le visage s’effaçait sous des éclats de mousse. Les coudes posés sur ses genoux, un vieil homme râblé semblait penché, devant un damier, dans des habits usés classiques d’un maître d’échecs d’autrefois : veste élimée, foulard élimé autour du cou, mains tachées de craie.

La tête levée, il répéta à peine distinctement, le même mouvement, jetant des regards hagards par-dessus son épaule, comme s’il guettait la chute invisible d’une pièce d’échec.

— « La tour… puis la reine… mais si le roi est là, où est la mémoire… »

À l’approche de Louis, le vieil homme manqua de sursauter mais se reprit, toisant le garçon de ses yeux gris perçants.

— « Qui perturbe ainsi mes calculs ? »

— « Je cherche la sortie. Ou l’entrée, peut-être. Vous savez où nous sommes ? »

Le chat ricana, escaladant gracieusement l’épaule de la statue pour mieux observer la scène. Le vieil homme leva un doigt tremblant en direction de Louis.

— « On n’échappe pas au jeu tant qu’on n’a pas compris la règle. Toute solution commence par une énigme… »

Il désigna la statue, devant laquelle des inscriptions étaient gravées à même la pierre, en lettres runiques à moitié effacées :

« Je renferme le passé et dévoile l’avenir, je suis le portail vers la mémoire des sages. Qui suis-je ? »

Louis ressentit un frisson. La lumière sembla palpiter autour d’eux, comme si le labyrinthe retenait son souffle, suspendu à sa réponse.

Il s’accroupit pour examiner l’inscription. Les runes gravées sur la pierre étaient entourées d’autres mots plus petits, certains barrés, d’autres illisibles. Mais çà et là, Louis déchiffra : « Borges », « Mnemosyne », « Bibliothèque », « Oubli ».

Le chat s’étira en bâillant ostensiblement.

— « Ce genre de devinette est la spécialité de notre Gardien… mais attention, petit détective, chaque erreur entortille encore plus le chemin de haies. Et, crois-en mon expérience, se perdre ici est un art. »

Louis, calme, ferma les yeux un instant. Le passé, l’avenir. Un portail. La mémoire des sages… Les mots tourbillonnaient, se heurtaient, composant des images furtives : des piles de vieux livres, la poussière d’un grenier, le tic-tac d’une vieille horloge.

Il essaya, prudent :

— « Un livre ? »

Rien ne se produisit. Les bruits des haies semblèrent soudain se resserrer. Louis secoua la tête. Pas assez précis.

Il reprit :

— « La bibliothèque. »

Un souffle parcourut la statue, si léger qu’il hésita à y croire. Pourtant, sous ses yeux, un pan de pierre se fendilla, révélant en profondeur le dessin stylisé de livres empilés.

Le maître d’échecs hocha la tête, approuvant. Mais soudain, le sol sous leurs pieds vibra, grinça, et les chemins du labyrinthe se mirent à onduler. La haie la plus proche se tordit, refermant le passage d’où ils venaient.

Le chat cracha, la queue hérissée.

— « Tu vois ? Même les bonnes réponses peuvent déranger l’ordre. Ici, chaque secret déplace les murs… »

La voix du maître d’échecs, soudain faible, résonna alors :

— « Tant qu’il reste une énigme, nulle sortie n’est définitive. Le Gardien écoute, il n’oublie jamais. »

Louis sentit la tension l’envahir, mais sa résolution se raffermit. Ce labyrinthe vivait, réagissait, goûtait à leurs peurs et à leurs espoirs. S’il voulait en sortir, il faudrait non seulement deviner la logique du lieu… mais aussi apprivoiser les mystères de ceux qui l’habitaient.

Le sol s’inclina doucement, et la clairière pivota lentement sur elle-même, dévoilant de nouveaux embranchements. Dans le lointain, Louis crut entendre le rire métallique d’un être qu’il ne voyait pas encore, mais dont la présence venait de devenir irréfutable.

La première énigme était résolue — mais, instinctivement, Louis comprit que chaque bon pas ici risquait de provoquer un désordre à la fois fascinant et dangereux. Il serra les poings.

— « Allons-y », murmura Louis, fermement, à ses deux compagnons improbables, alors que la brume se refermait derrière eux et que le labyrinthe, déjà, reformulait ses pièges.



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