
Chapitre 1 : Les Portes du Mystère
La nuit venait à peine de tomber sur le petit village d’Arcan-sur-Lys que Gabin, douze ans, tapotait nerveusement les bords de sa table. À ses côtés, Sphinx, son compagnon à quatre pattes au pelage argenté et aux yeux d’un vert hypnotique, se roulait en boule tout en observant les faits et gestes de son jeune maître. Sur la table traînait une étrange lettre, son papier jauni tranchant avec le bleu électrique de la lampe de bureau. Gabin, détective autodidacte à la réputation de fin limier dans la cour de l’école, relut pour la cinquième fois le message énigmatique qui l’avait tant agité depuis la fin de l’après-midi : « Là où l’ombre se tapit, la vérité attend. » À côté de la lettre reposait une clé ancienne, noircie par le temps, creusée de symboles qu’il ne connaissait pas.
Ses parents croyaient qu’il dormait déjà – ignorance salutaire pour un soir pareil. Toquant doucement sur le dossier de sa chaise, Gabin adressa une grimace complice à Sphinx :
« Tu paries combien que derrière ce code, il y a autre chose qu’un canular de Théo Leblanc ? »
Sphinx lui répondit d’un miaulement étouffé qui ressemblait furieusement à un soupir exaspéré, celui d’un vieux chat rompu aux plans nocturnes – à la notable différence que l’ensemble de son savoir-faire semblait lui dire que personne en ce bas monde n’était aussi insensé que Gabin. Mais il se leva, effleura d’un coup de museau la feuille, puis la clé, et d’un battement de queue très digne, daigna l’accompagner vers l’aventure.
Le village, ce soir-là, se noyait sous un brouillard rare. Au loin, la lune n’était qu’un disque trouble, et le silence, tout juste percé par le cri d’une chouette, semblait épier chaque mouvement. Gabin, glissant la clé dans sa poche et raffermissant son sac à dos contre l’épaule, prit la route du nord. Grâce à de patientes recherches et quelques discussions à demi-mot avec les anciens du village, il connaissait l’emplacement de la « base militaire oubliée ». On la disait maudite, hantée des farces de la guerre ; certains prétendaient même entendre des rires métalliques près des grilles rouillées. Idéal, pensa Gabin, pour cacher un secret – ou le résoudre.
Le portail céda sous la poussée insistante de la clé – elle avait visiblement été faite pour cette serrure, ce qui mit un terme aux soupçons de farce estudiantine. Gabin sentit son cœur tambouriner dans sa poitrine, mais une excitation irrésistible le forçait à avancer. Sphinx trottina devant, oreilles aux aguets, sentant chaque tache d’ombre entre les bosquets.
L’intérieur de la base semblait figé dans le temps : une couche épaisse de poussière tapissait le sol, des bureaux renversés jonchaient le hall principal, et l’odeur de métal froid persistait dans l’air. Mais, élusivement, des empreintes récentes zigzaguaient dans la suie grise, menant vers un bureau à demi effondré dont la porte grinçait encore doucement. Sphinx, dressé comme une élégante statue, huma l’air et feula vers un pan sombre du mur. Gabin plissa les yeux, braqua sa lampe et découvrit alors l’improbable : là, sur un tableau de commandes rouillé, quelqu’un avait récemment nettoyé la crasse – laissant briller une série de symboles peints à la main. Quatre figures géométriques : triangle, cercle, carré, losange, suivies d’un chiffre effacé.
Tout détective digne de ce nom s’arme de logique. Gabin sortit aussitôt son carnet noir, déjà fripé à force d’y consigner énigmes et hypothèses. Il griffonna :
« Triangle, cercle, carré, losange… chiffres ou lettres ? Code d’entrée ? »
Sphinx, lui, miaulait doucement devant un levier rouillé – et Gabin, s’inspirant de la régularité des formes, tenta d’ordonner leur séquence sur les boutons à ressort du tableau. Un cliquetis suivi d’un bruit sourd répondit à sa tentative. Immédiatement, le sol vibra sous ses pieds, et une trappe, dissimulée sous un tapis élimé, pivota lentement, révélant un escalier métallique qui s’enfonçait dans les ténèbres. Gabin lança un regard entendu à Sphinx :
« Prêt pour les entrailles du mystère, mon vieux ? »
L’escalier descendait vers un dédale de tunnels faiblement éclairés par la lumière vacillante de leur lampe. La pierre des murs se couvrait graduellement de peintures aux couleurs vives, entremêlées de slogans codés et de dates effacées. Gabin avançait prudemment, notant au passage chaque changement d’atmosphère – du souffle froid lui caressant la nuque, à la présence oppressante des ombres dans les coins les plus obscurs.
Tout à coup, Sphinx bondit et courut vers un recoin, ses moustaches déployées comme des antennes. Gabin le suivit pour découvrir un carnet déchiré, coincé à moitié dans un trou creusé à la base d’un pilier. Les pages, griffonnées à la hâte, parlaient d’un certain « Résolveur d’énigmes », un individu ou peut-être un groupe, œuvrant dans la clandestinité pour protéger « le cœur secret du manoir ». Gabin s’arracha à sa stupeur en entendant des pas furtifs glisser loin derrière lui. Il se retourna, l’adrénaline galvanisant ses réflexes.
Au bout d’un couloir, une silhouette mince et vive se détacha de l’obscurité. Un masque blafard cachait son visage, et elle tenait à la main un livre à la couverture sombre. En moins d’une seconde, la silhouette disparut derrière une porte blindée qui se verrouilla avec un claquement sec.
Sphinx, d’un coup de patte léger, effleura un carreau fissuré à côté de la porte : un symbole identique à celui du carnet y était gravé. Gabin, haletant sans s’en rendre compte, sentit la montée vertigineuse de la curiosité – et peut-être, pour la première fois, celui d’un danger réel et fascinant.
« Nous ne sommes pas seuls ici, » souffla-t-il à Sphinx, le regard brillant d’un mélange de crainte et d’excitation pure. « Et le vrai mystère ne fait que commencer… »