
Chapitre 2 : Énigmes à la lueur du crépuscule
Chapitre 2 : Le Chat aux Secrets et la Roseraie des Miroirs
Quand le premier rayon de lune franchit la cime des ifs tordus, le jardin sembla frissonner, comme secoué par un soupir ancien. La brume s’épaissit, puis se liquéfia en nappes mobiles traînant sur les cailloux. Les statues n’étaient plus vraiment figées : elles respiraient presque, dans la semi-obscurité, suggérant d’impossibles sourires ou des clignements de pierre.
Au milieu de ce théâtre spectral, le chat noir s’immobilisa, queue dressée. Il leva ses yeux violets vers Arthur et Élie, et, sans un bruit ni un miaulement, une voix s’installa soudain dans leur esprit, claire comme la clochette d’un marché désert :
« Appelez-moi Onyx. Je vous aide, si vous acceptez de me livrer un secret… à la fin. »
Élie sursauta, manquant de faire tomber ses lunettes de travers. Arthur, bouche bée, se pencha vers Onyx :
— Tu… tu parles ?
La réponse leur frôla les tempes comme une brise curieuse, saturée de moquerie bienveillante.
« Parler ? Disons que je me fais comprendre. Et j’aimerais bien que vous marchiez, au lieu de lambiner. La nuit avance, et ce jardin n’a rien d’un terrain de jeu. »
La répartie d’Élie jaillit comme une flèche :
— Génial, un chat télépathe. C’est le moment de mettre à jour mon CV paranormal, j’imagine.
Onyx cligna lentement des yeux, l’air vaguement amusé. Il s’étira et fila dans l’allée de gravier, les invitant d’un regard perçant à le suivre. Bientôt, ils atteignirent une zone du jardin plus ancienne, à demi envahie par le lierre : la Statue du Penseur, trônant sur un socle gravé de motifs spiralés, semblait s’interroger sur le sens même de sa présence.
Arthur s’accroupit, scrutant chaque fissure du piédestal. Il se remémora un des mantras de sa grand-mère : « Il y a toujours plus d’ombre derrière la lumière des énigmes. »
Élie, de son côté, pianota nerveusement sur son carnet.
— Si ça se trouve, il y a un bouton secret, murmura-t-il, moitié pour lui-même, moitié pour Arthur.
Onyx bondit sur la cuisse du Penseur et donna un coup de patte précis sur un liseré sculpté. Un déclic résonna, suivi d’un glissement. Un tiroir minuscule s’ouvrit dans le socle, dévoilant un parchemin roulé et scellé de cire pourpre.
Arthur s’en saisit. Le parchemin tremblait sous ses doigts. Il le déroula, découvrant une pagaille de mots, chiffres et symboles, tracés d’une écriture aux angles bizarres.
Élie siffla :
— Voilà qui va mettre mes neurones au régime nocturne.
Arthur se concentra, assemblant patiemment des fragments de phrases : il repéra les débuts de mots, retrouva des morceaux ratatinés de chacun, tandis qu’Élie, dont la passion pour les mots croisés frisait l’obsession, survolait le texte d’un regard vif.
— Regarde ici, ça saute aux yeux ! Les majuscules forment un mot caché. Et là, ce code, c’est un simple anagramme !
— Attends, ça veut dire… « Elle s’épanouit là où le soleil ne vient plus, entourée d’épines et de regrets. Mais son parfum guide toujours l’oublié. »
Arthur releva la tête vers Élie :
— La roseraie. Mais… il n’y a plus de roseraie, si ?
Onyx émit un ronronnement intérieur :
« Plus à découvert. Mais il reste la trace, enfouie derrière les statues du Sommeil. Suivez-moi seulement, et évitez de toucher le buis coupé en croix… ce n’est JAMAIS bon signe. »
Ils cheminèrent en silence, tandis que le jardin, sensible à l’heure, semblait se réorganiser sous leurs pas. Les statues du Sommeil — des silhouettes d’adolescents aux paupières lourdes — semblaient glisser lentement hors de leur socle. Mais grâce à l’agilité d’Onyx, traversant souches et parterres sans bruit, ils atteignirent une section oubliée, envahie d’épines où des rosiers méchamment noueux s’accrochaient à de vieilles arches. L’air était saturé d’un parfum doux-amer, et l’obscurité dansait sur les pétales morts.
Au centre de la roseraie, un mur d’arbustes tressés encadrait l’entrée d’un labyrinthe végétal. Dessus, gravé dans le bois, un message énigmatique :
« Pour franchir la haie ténébreuse, trouve la justesse lorsque l’illusion se dédouble. À chaque vérité dite, la voie s’éclaire. À chaque erreur, la pierre prend vie. »
Arthur lut à voix haute, le cœur battant :
— Une énigme de passage. Prêts ?
Élie fit la moue, sa voix éraflée par l’excitation :
— Vu la tête du chat, on n’a pas le luxe d’être hésitants.
La première question retentit, portée par le vent et semblant venir de partout à la fois :
« Qu’est-ce qui peut être brisé sans jamais être touché ? »
Arthur hésita un instant. Élie trépigna.
— Le silence, lâcha Arthur d’une voix basse.
Un carré d’herbe devant eux s’illumina brièvement. La haie recula imperceptiblement.
Deuxième question. Onyx dressa soudain les oreilles, l’air anxieux.
« Plus elle en a, moins elle pèse. Qu’est-ce ? »
Élie répondit du tac au tac :
— Un trou !
De nouveau, une brèche s’ouvrit, le sentier s’allongea.
Mais, à la troisième question, ils hésitèrent :
« Quel mot commence par la nuit, finit par la lumière, mais n’est ni l’une ni l’autre ? »
Un court silence, puis Élie chuchota : « Crépuscule ? »
Rien ne se produisit… au contraire, une statue supplémentaire, effrayante, se matérialisa, surgissant d’une racine morte pour leur barrer la route. Elle semblait tordre son visage, griffant l’air de ses doigts massifs.
Onyx, imperturbable, contourna la statue par la gauche.
« Suivez-moi, vite, avant que la question ne recommence. »
Arthur sentit la peur l’étreindre, mais Élie, blême, se força au calme :
— Réfléchis ! Qu’est-ce qui est entre la nuit et la lumière ? Qui est là, sans être l’une ou l’autre ?
Arthur fronça les sourcils :
— L’aube !
Cette fois, la statue se ratatina et se retransforma en simple buisson fleuri. Le passage devant eux s’ouvrit comme une gousse mûre. Ils cheminèrent, essuyant d’autres épreuves — chaque question ratée produisant de nouvelles apparitions, chaque vérité murmurée élargissant le sentier.
Bientôt, ils atteignirent le centre du labyrinthe. L’ambiance y était différente : l’air vibrionnait d’une énergie contenue, presque électrique. Sur une stèle grise, couverte de mousse, brillait le même symbole que sur le médaillon et le pelage d’Onyx : un miroir brisé, frappé d’une cicatrice droite, encadrant une silhouette massive sculptée en bas-relief — mi-homme, mi-colosse, le Gardien des reliques.
Arthur effleura la stèle. Un nouveau fragment de texte apparut, s’écrivant sous ses yeux dans la lumière lunaire :
« Méfie-toi du miroir qui regarde, car il est la porte des âmes piégées. Celui qui trouvera le reflet oublié libérera la pierre et l’ombre, mais provoquera la colère du Gardien. »
Arthur sentit un courant d’air glacé se faufiler sous ses habits. Onyx courba l’échine, toutes griffes dehors, comme si une force invisible venait de s’éveiller sous leurs pieds.
Un grondement sourd secoua alors tout le jardin. Les statues vibrèrent, des feuilles mortes se mirent à voler dans une danse désorganisée. Au loin, un craquement formidable éclata, suivi d’un martèlement qui fit trembler même la lune cachée.
Élie recula d’un pas, blanchissant à vue d’œil.
— Dites-moi qu’il y a une explication logique à ce bruit ?
Onyx répondit, sa voix désormais plus grave :
« Le Gardien s’est réveillé. La prochaine énigme décidera de notre sort… »
Arthur ne détourna pas les yeux de la stèle. Il sentit tout le poids de sa quête — la peur, la curiosité, mais aussi la force de l’amitié naissante qui les liait désormais. Dans la nuit troublée, il savait une chose : pour atteindre la vérité, ils devraient faire plus que percer des mystères. Ils devraient s’y confronter, ensemble.