
Chapitre 2 : Le Cargo Perdu et le Jeu des Illusions
Chapitre 2 : Le Cargo Perdu et le Carnaval des Reflets
Un grondement sourd salua le départ du Cargo Perdu. Sur la passerelle bringuebalante, Noa sentit son cœur tambouriner au même rythme que la coque sous ses pieds. Le vaisseau s’enfonça dans la brume interstellaire, où les nuages dansaient comme de grands draps chargés d’étincelles, et la lumière des lanternes du port disparut derrière eux, avalée par le brouillard mystérieux. Mya, debout sur une caisse de ravitaillement, tripotait ses fioles en marmonnant, tandis que Nara fendait l’obscurité à coups d’ultrasons marins improvisés à l’aide d’une conque dénichée dans la cabine du capitaine automate.
La progression était lente. Parfois, le Cargo pivotait sur lui-même, piégé par un vent invisible ou une illusion éclatant soudain en tornade de couleurs : un instant, Noa jura voir des poissons en gants de velours, le suivant, les murs semblaient céder la place à des couloirs infinis de miroirs déformants.
« C’est le brouillard des illusions, expliqua Mya, le ton grave. Il veut que nous oubliions ce que nous cherchons. J’ai presque fini la potion : il me manque juste un souffle d’histoire. »
Nara, un sourire bravache vissé au visage, proposa :
— Tu veux une histoire ? J’en ai cent ! Celle du poulpe géant qui a avalé mon sandwich, ou le récit des mouettes-robots qui ne dorment jamais…
Mais Noa, prudent et concentré, observa la coque et ses lignes presque effacées. Il tendit la main vers l’une de ses cartes, l’effleura du bout du doigt puis raconta doucement :
— Quand j’étais petit, je croyais qu’une étoile filante cachait toujours la sortie d’un labyrinthe, à condition de n’avoir peur ni du noir ni de se perdre…
La vapeur de la potion se mit à briller, Mya s’empressa d’en verser une goutte sur ses paupières, puis en invita chacun à faire de même. Soudain, la brume s’écarta par plaques, révélant une passerelle tordue qui menait à une trappe dérobée sur le flanc du vaisseau. Nara, agile comme un chat cosmique, guida le groupe à travers les couloirs rouillés, ouvrant des passages secrets grâce à une clé fabriquée dans un éclat d’astéroïde ramassé lors d’un ancien voyage.
— Gare aux sons, murmura-t-il. Ici, même un éternuement peut réveiller une illusion !
Ils progressèrent à pas de loups, serpentant au gré des portes grinçantes et des échos qui leur renvoyaient parfois… le tintement très faible d’une cloche lointaine. L’intérieur du Cargo Perdu ressemblait à un entrelacs d’escaliers trompeurs, de rambardes branlantes et de hublots changeants : impossible d’être sûr que ce qu’on voyait en face était la réalité.
Finalement, une porte argentée les mena vers une vaste salle en forme de dôme. Là, Noa, Mya et Nara restèrent médusés : tout autour, des centaines de miroirs mouvants et de cartes flottantes se torsadaient, dansant dans l’air lourd d’électricité statique. Chacun des miroirs affichait un visage, une aventure ou un rêve, et les cartes défilaient, tantôt minuscules, tantôt gigantesques.
Mais au centre, un étrange autel de fer renfermait ce qu’ils devinèrent être… la première énigme du Cochon. Un grincement sinistre salua leur arrivée. Les miroirs s’alignèrent, composant l’image agrandie de Nara, son reflet oscillant entre vaillance et doute. La voix du Cochon, grasse et railleuse, résonna sans que l’on voie sa silhouette :
— Héros de pacotille, es-tu prêt à avouer ce que tu crains ? Car nul ne traverse ce labyrinthe sans se regarder droit dans l’âme !
Nara, soudain moins assuré, recula d’un pas. Son reflet, double immense, soupira :
— Je rêve qu’on se souvienne de moi, mais j’ai peur d’être oublié… même par mes amis.
Noa et Mya échangèrent un regard ému. Mya, posant la main sur l’épaule de Nara, souffla :
— On ne t’oubliera jamais, Nara. Tu es celui qui rassemble les chemins, et sans toi, nous ne serions pas ici.
Noa, quant à lui, déplia nerveusement son carnet et versa dans l’encrier phosphorescent la dernière goutte de potion. Il traça, à l’envers, les contours du Cargo Perdu, explorant à l’imagination des salles et chemins qui n’étaient visibles sûrement que pour lui. L’encre étincelante coula alors sur le sol, dessinant une carte où les couloirs s’inversaient, révélant un passage secret à gauche du grand miroir.
— Je crois que… si on combine la carte de Noa, le flair de Mya et le courage de Nara, on peut sortir d’ici !
Mya sortit un flacon enveloppé d’une poussière d’étoile :
— À mon tour… J’invente un parfum : le Véritoscope. Si l’on traverse ce nuage, impossible de mentir à soi-même… ni aux autres.
Elle brumisa l’étrange parfum au-dessus de l’autel. Une brume douce envahit la salle, neutralisant l’électricité statique qui tordait les images. Les miroirs cessèrent de gonfler leur reflet, et une porte de lumière verte apparut soudain derrière les fragments de rêve.
— À toi de jouer, Nara !
Le jeune marin, libéré de son fardeau, utilisa l’un de ses gadgets favoris, une boule qui faisait danser la lumière en voltigeant d’un miroir à l’autre. S’engageant dans une partie de cache-cache ébouriffée avec son propre reflet, il réussit à tromper les illusions et ouvrit le loquet d’acier noir, libérant ainsi la première moitié du chemin vers la Cloche.
— Trois cerveaux, un secret percé, marmonna-t-il, tout essoufflé mais les yeux pétillants.
Mais à peine avaient-ils franchi le seuil que surgit la grosse silhouette rose du Cochon, la queue tirebouchonnée d’excitation.
— Bravo, minuscules rêveurs ! Mais cela ne suffit pas… Tant que la carte n’est pas entière, la Cloche restera prisonnière de mes ruses !
D’un geste rapide, le Cochon chaparda la carte restaurée des mains de Noa, puis fit disparaître la porte de lumière verte dans un éclat de rire gras.
— Attrapez-moi si vous pouvez ! gloussa-t-il, s’enfonçant dans un couloir mouvant où murs et plafonds s’inversaient sans cesse. Ah, et souvenez-vous : pour espérer retrouver la Cloche, il vous faut d’abord vous retrouver vous-mêmes…
Le trio hésita un instant, déboussolé. Mais Noa, plus résolu que jamais, leva sa propre carte imaginaire, la renouvelant d’un simple trait d’audace.
— On n’a pas besoin du vieux dessin… On a ce qu’on a appris en chemin. Si le Cargo est un labyrinthe, alors je vais inventer un passage juste pour nous !
Rassemblant le courage qu’il pensait ne pas posséder, Noa dessina dans l’air, de sa lampe à encre, un portail ovale où brillaient des fragments du rêve de chacun. Incrédule, Mya toucha la surface : elle la traversa comme dans un nuage cristallin. Nara, éberlué mais ravi, suivit. Noa inspira, franchit à son tour le portail…
Ils débouchèrent, haletants, au cœur du Cargo Perdu : une salle ronde, où, suspendue dans une cage de lumière changeante, flottait la Cloche des Étoiles, immense, tachetée d’inscriptions oubliées et d’éclats de rêve.
Le Cochon était là, tapi dans l’ombre, ricanant, prêt à lancer un dernier défi. Mais quelque chose avait déjà changé : ni la peur ni l’illusion ne semblaient pouvoir arrêter désormais le trio, unis par le fil invisible de leur imagination et du courage partagé.
Et sous la lumière mouvante, la grande aventure prenait un tour plus audacieux encore…