
Olivia observa l’horizon depuis la plateforme de lancement, le cœur vibrant d’une étrange excitation. Devant elle s’étendait la Forêt Enchantée, royaume vert et chatoyant où les arbres chuchotaient quand le vent soufflait et où chaque pierre semblait abriter un secret. À ses côtés, sa montre temporelle, légère et argentée, émettait de faibles oscillations, signe que le passage entre les époques n’était plus loin.
Olivia n’était pas une exploratrice comme les autres. À douze ans à peine, elle portait le titre redoutable de voyageuse du temps. Courageuse, ingénieuse et d’un altruisme inné, elle apprenait depuis plusieurs lunes sous la tutelle de la Chronomancienne, gardienne des clefs du Continuum. Mais jamais jusqu’alors elle n’avait reçu une mission aussi cruciale : monter jusqu’au sommet du Mont de l’Olivier pour résoudre l’énigme du Temps Gelé.
La légende racontait qu’à l’aube des âges, un puissant sort avait figé dans la pierre le moment où la plus ancienne olive de l’oliveraie sacrée avait jailli du sol. Depuis lors, un écho temporel perturbait le cours naturel du monde, provoquant des instants où passé, présent et futur s’entremêlaient. Les saisons s’affolaient, des disparitions brèves secouaient les villages voisins et des visions d’antan saupoudraient quotidiennement la Forêt Enchantée.
La Chronomancienne avait annoncé qu’il était temps de lever ce voile : seule une voyageuse du temps dotée d’un cœur pur, capable de comprendre les subtilités de l’instant, pourrait résoudre le puzzle. Aussi Olivia poussa-t-elle du pied le petit portail circulaire qui s’ouvrit en un halo doré. Une brise légère s’engouffra, la propulsant vers l’entrée de la forêt.
Dès qu’elle posa le pied sur le tapis foisonnant de feuilles, le temps sembla ralentir : les lucioles dessinèrent des arabesques lumineuses, et un parfum d’herbes sauvages se mêla à la musique lointaine d’une harpe invisible. Olivia avança, consciente que chaque pas la rapprochait du Mont de l’Olivier, mais aussi des épreuves qui l’attendaient.
Peu après, elle rencontra le Sage du Bois, personnage mystérieux dont la longue barbe argentée caressait les mousses. Les rumeurs le disaient bon et strict à la fois ; on racontait qu’il pouvait prédire les flux temporels les plus ténus.
« Bienvenue, voyageuse, » dit-il d’une voix grave. « Je te teste avant d’accorder ma confiance. Trois énigmes sur le temps. Si tu échoues, ton retour sera compromis. »
Olivia acquiesça, le regard déterminé. Sa première épreuve fut : « Qu’est-ce qui court sans jamais se fatiguer et pourtant ne va nulle part ? » Elle sourit en prononçant « l’instant ». Le Sage hocha la tête. La seconde question s’énonça : « Qu’est-ce qui peut briser le plus puissant des sorts et pourtant est invisible ? » Elle répondit d’un souffle : « L’espoir. » Le Sage, surpris par sa profondeur, approuva en silence. Enfin : « Qu’as-tu perdu hier, retrouves-tu aujourd’hui, et perdra demain ? » Un silence s’installa. Olivia ferma les yeux, songea à sa première mission au palais de Nivera, à ses maladresses, puis murmura : « L’innocence. »
Impressionné, le Sage lui tendit un bâton de chêne noueux. « Prends-le. Dans les heures à venir, lorsque le doute te forcera à battre en retraite, invoque sa lumière et le chemin se révélera. »
Peu après la rencontre, Olivia traversa une clairière baignée de brume rose. Au centre, un bassin d’eau cristalline reflétait le ciel nocturne, bien qu’il soit midi. Brusquement, les astres y apparurent dans leur danse céleste, tournant en un tourbillon d’argent et d’émeraude. Au bord, se dressait l’Esprit Gardien, manifestation vivante du grand olivier millénaire. Sa forme ondulait comme une fumée légère, parsemée de petites fleurs dorées et de feuilles argentées.
« Olivia, voyageuse du Temps, » murmura l’Esprit d’une voix mélodieuse. « La clef que tu cherches dort au cœur du Mont. Mais avant de l’atteindre, tu devras comprendre la nature même du temps. Regarde. »
Le bassin refléta soudain plusieurs scènes : une petite fille jouant parmi les arbres, une armée de papillons dansant au crépuscule, une antique olive scintillant sous un soleil de feu. Olivia sentit un poids l’envahir. « Je vois... » chuchota-t-elle.
« Ce sont les échos de ce Mont. Chaque instant y est conservé. Ta quête est d’ouvrir la capsule et de laisser le temps s’écouler à nouveau. »
À ces mots, la brume s’évapora et l’Esprit Gardien laissa flotter dans l’air un éclat paupière, sorte de petit lierre lumineux. « Emporte-le. Quand la dernière porte se refermera, dépose-le dans la fissure de pierre. » Puis il disparut.
Le sentier se fit plus abrupt et ombragé. Les arbres aux troncs torsadés semblaient se refermer derrière elle, la forêt redevenant émeraude et secrète. Les oiseaux s’étaient tus, seuls quelques battements d’ailes résonnaient. Olivia sentit son bâton lui peser au dos, mais elle ne vacilla pas.
Plus haut, une porte de pierre s’élevait, couverte de symboles anciens évoquant les phases de la lune et des cadrans solaires. Des fines rainures indiquaient qu’on pouvait en faire tourner certains cercles. « Le puzzle : aligner le présent, le passé et le futur. » Songeant aux conseils du Sage, elle frôla l’un des anneaux, sentant une vibration légère. Tourner l’anneau déclencha un léger grondement, et la pierre voisine s’illumina d’un éclat pâle.
Olivia utilisa le bâton pour guider ses gestes, laissant l’espoir et l’innocence l’inspirer. À chaque anneau ajusté, un murmure parcourait la paroi de la porte, comme si le temps lui-même saluait son audace. Soudain, un déclic sonore retentit et la lourde arche glissa, révélant un escalier de pierre descendant dans l’ombre.
La pénombre était presque totale mais le cœur d’Olivia battait désormais d’une foi inébranlable. Descendant marche après marche, elle perçut enfin une faible lueur au détour du couloir. Lorsqu’elle s’en approcha, elle décou vrit une cavité où trônait, sur un socle de marbre, la fameuse olive pétrifiée, emprisonnée dans un bloc de cristal translucide. Autour, le temps semblait suspendu : aucune poussière ne couvrait la pierre, aucune goutte d’eau ne ruisselait des parois.
Le défi final s’imposa à elle : comment libérer l’olive sans briser l’équilibre du Temps ? Olivia sortit le petit lierre lumineux offert par l’Esprit Gardien. Elle l’approcha du cristal dont les facettes captèrent la douce lumière et commencèrent à se mettre à vibrer. La montre temporelle s’affola : ses aiguilles tournaient dans tous les sens, comme distribuées en une danse frénétique.
Olivia ferma les yeux et murmura la promesse qu’elle s’était faite : « Je te libère pour que tu puisses continuer à grandir, comme le Temps qui doit toujours avancer. » D’un geste précis, elle glissa le lierre dans la petite fissure au pied du cristal. Un souffle circulaire parcourut alors la cavité. Le cristal se fissura en un réseau de mèches lumineuses, et la pierre de l’olive scintilla avant de redevenir mate.
Au même instant, elle sentit un grand soulagement, comme si un poids éternel venait de s’envoler. Le relais du Continuum venait d’être réparé : le Temps gelé reprenait sa course. Olivia recula, la tremblante nervure se referma d’elle-même, les murs reprirent leur couleur, et la montre temporelle retrouva un rythme serein.
Un léger tremblement signala que l’escalier s’effaçait. La cavité disparut dans un voile brumeux, la renvoyant vers l’entrée par laquelle elle était arrivée. À l’air libre, la Forêt Enchantée paraissait plus vivante que jamais : les chants d’oiseaux saluaient l’accomplissement, les fleurs dansaient au vent, et les feuilles chantaient de bonheur.
Sur un tapis de mousse, le Sage apparut, accompagné de l’Esprit Gardien, sous la forme d’un jeune olivier scintillant. Ils la regardèrent et le Sage dit, un sourire chaleureux au bord des lèvres :
« Tu as fait honneur à ton rôle, Olivia. Les rubans temporels sont réparés. En récompense, je t’offre ce pendentif : un fragment de l’olive millénaire. Il te permettra, lorsque tu en auras grand besoin, de suspendre quelques instants le temps autour de toi afin de sauver un être cher ou de protéger un secret fragile. »
L’Esprit ajouta, d’une voix fluette : « Porte-le près de ton cœur. Souviens-toi que la magie du temps est avant tout une responsabilité. »
La jeune voyageuse, éblouie, reçut le pendentif. Sa chaînette fine et ses reflets verts captivaient le regard. Elle l’attacha à son cou. Une vague de fierté et de gratitude l’envahit : cette récompense matérielle symbolisait le succès de sa quête et la donnait accès à un nouveau pouvoir.
Alors que le soleil déclinait à l’horizon, Olivia quitta la Forêt Enchantée, le cœur léger, la conscience grandie par l’épreuve. Elle n’était plus une simple apprentie : elle devenait une gardienne du temps prête à affronter d’autres mystères. Le Mont de l’Olivier n’était désormais plus qu’un souvenir enchanté, une délivrance du temps qui s’écoule sans entrave.
Son nom allait bientôt voyager à travers les époques, gravé dans les annales des Chronomanciens.
FIN