
Chapitre 4: Le Duel du Gardien Ancien
Chapitre 4 : L’Étreinte du Crépuscule
L’escalier s’enroulait vers les profondeurs du monde, ses marches sculptées de lueurs molles par la magie souterraine et la poussière du temps. Mia sentait la minuscule étoile fluorescente offerte par Lyos battre doucement contre sa poitrine, telle un secret fragile, réceptacle de bravoure accumulée. Torm, attentif et lourd, prenait soin de ses pas, bien conscient que dans ce nouvel abîme, sa force brute valait moins que la prudence.
La température chutait au fur et à mesure de leur descente. Un air glacé, piquant, s'insinuait insidieusement dans les recoins de la bibliothèque souterraine. Des ombres, opaques comme des rideaux tirés sur l’espérance, s’étendaient, mouvantes, entre les hautes étagères couvertes de grimoires enchaînés, de rouleaux à la fine poussière d’argent, de globes anciens où flambaient des constellations miniatures.
Les deux compagnons franchirent la dernière marche, et la voûte s’ouvrit sur le sanctuaire interdit. Un silence oppressant pesait, seulement perturbé par le crissement du pas de Torm et la respiration basse de Mia. On aurait dit que chaque livre retenait son souffle.
Une forme indistincte se matérialisa devant eux, telle une silhouette dessinée dans le givre au bord d’une fenêtre, se précisant à mesure que la magie de l’endroit se réveillait.
« Je vous attendais. »
La voix, glaciale et multiple, semblait provenir de partout à la fois. Le Gardien ancien émergea, drapé dans une cape d’ébène où brillaient les vestiges pâles d’antiques runes, son visage masqué par mille reflets changeants, comme s’il portait en lui toutes les peurs et les doutes que les âges avaient semés. Des volutes de givre rampaient sur le sol derrière lui, et chaque mot exhalait un souffle de froid, mordant et redoutable.
Mia raffermit sa prise sur la clé de cristal, ses doigts tremblant brièvement. Torm, d’un mouvement protecteur, se plaça à côté d’elle. Il murmura, grave :
« Rappelle-toi, Mia. Les ténèbres n’avalent rien que ce qui veut s’effacer. »
Le Gardien ancier sourit, dévoilant des ombres acérées :
« Tu as surmonté les gardiens inférieurs, recueilli les éclats des étoiles mortes. Mais ici, seule la vérité demeure. Qu’espères-tu accomplir, enfant aux rêves de lumière ? »
Mia sentit les doutes se glisser, s’enrouler comme des lianes froides dans son esprit. La silhouette de sa grand-mère lui apparut, mais son sourire s’effaça, remplacé par un regard réprobateur. Derrière, Torm se brouilla, devenant une figure lointaine, fade, moins réelle. Des murmures sourds résonnaient :
« Tu n’es pas digne… Tu échoueras, comme tant d’autres. »
Elle chancela et ferma les yeux. Le froid ne venait plus que de l’extérieur : il l’envahissait de l’intérieur, voulant figer le battement même de son cœur. Mais alors, à travers la brume, brilla la minuscule étoile offerte par Lyos. Et, plus fort encore que les murmures perfides, une voix pleine de chaleur lui revint :
« Dans les ténèbres, même l’étoile la plus timide peut devenir guide pour ses compagnons. »
Elle posa sa main sur sa poitrine. Une chaleur douce irradia, fissurant la croûte de glace qui voulait la faire taire. Elle se tourna vers Torm, dont la silhouette reprenait consistance, affirmation inébranlable d’amitié. Elle se rappela des étoiles reconstituées, du courage partagé à chaque épreuve, du calme intense du Collectionneur et de la sagesse des anciens.
« Je suis venue, débuta-t-elle d’une voix tremblante, non pour moi seule, mais pour honorer une promesse, pour rallumer la lumière oubliée. »
Le Gardien ancien tordit la bouche en une grimace :
« Tes mots sont vent, ton courage n’est qu’illusion. Viens donc prouver ta vaillance… »
D’un geste, il libéra une vague d’illusions. Les livres s’ouvrirent pour déverser des souvenirs de défaites ancestrales, de visages aimés pleurant son absence. Les ombres s’approchèrent, s’accrochèrent à ses jambes, tentant de la faire tomber. Mia chancela, mais Torm, fidèle, hurla :
« Tiens bon, Mia ! Montre-lui ta lumière ! »
Dans un effort déchirant, Mia brandit la clé de cristal. Un rayon pur la traversa — non un rayon seul, mais le faisceau convergent de toutes les expériences vécues, toutes les amitiés nouées. Alors, elle murmura l’incantation oubliée que sa grand-mère lui avait autrefois confiée, une suite de runes sacrées tissée d’espoir :
« Par l’éclat des aînés, par la constance des présents, que la flamme de la vérité dissolve la nuit, comme l’amitié repousse le désespoir ! »
Sa voix hésita, faillit se briser, mais la chaleur grandit. La minuscule étoile de Lyos s’embrasa soudain et projeta des filaments d’or autour d’elle, puis vers Torm, puis vers les anciennes pierres froides elles-mêmes. Une onde de lumière s’étendit, révélant la bibliothèque pour ce qu’elle était : un lieu d’histoires tues, en quête de récits, non de chaînes.
Le Gardien ancien hurla, se décomposant en brume, agitant ses ombres désespérément :
« Non ! Tu ne peux comprendre ! Seul le doute protège… Seul l’échec prévient la souffrance ! »
Mia s’avança, humble, mais résolue :
« Non. Seul l’amour de la vérité, l’audace et la solidarité déposent les armes des peurs anciennes. Les ténèbres sèment le doute, mais chaque amitié, chaque choix brave rallume une étoile. »
Torm posa une main géante sur l’épaule du Gardien, le fixant avec compassion :
« Cher ami des Ténèbres, toi aussi, jadis, as brillé. Laisse la paix gagner ce lieu. »
La brume frémit, hésita… Puis, peu à peu, se condensa, révélant un homme très vieux, las, portant le manteau du Gardien. Ses yeux étaient humides, fatigués.
« J’ai tant veillé que j’en ai oublié la chaleur de la nouveauté… Pardonnez la rudesse de mes épreuves. Mais seul un cœur qui doute un instant, puis rallume sa flamme, pouvait restaurer l’harmonie. Voici, votre grimoire vous attend. »
Du bout de la bibliothèque, une étagère pivota magiquement, dévoilant un ancien livre auréolé de lumière douce, posé sur un coussin de velours bleu nuit. Mia s’avança et prit délicatement le grimoire. À l’instant où ses doigts effleurèrent la reliure, une chaleur prodigieuse, bienfaisante, se répandit.
Les ombres reculaient. La bibliothèque, jadis glaciale, s’illuminait de nouvelles lueurs, de murmures joyeux, de promesses de futurs récits. Le Gardien, apaisé, s’inclina, faisant surgir un pont d’arcs-en-ciel vers la sortie.
Torm, hilare et ému, tapota gentiment Mia, manquant de lui envoyer valser sa cape.
« Héroïne de Sylvena, je suis fier de toi. Cela valait toutes les montagnes d’émeraudes du monde ! »
Le vieux Gardien esquissa un sourire, presque joueur :
« Quand tu rencontreras la peur, Mia, n’oublie jamais cette lumière née de tes compagnons. Ce pouvoir-là n’est jamais perdu. »
Mia, les yeux brillants, referma le grimoire en le serrant contre elle. Elle leva la tête — leurs regards se croisèrent, trois générations d’apprentis-témoins unis dans un pacte muet. L’Amphithéâtre, redevenu havre sacré, s’emplissait d’éclats de voix oubliés et de poussières d’avenir.
En ressortant de la bibliothèque, main dans la main, Mia et Torm savaient qu’un chemin nouveau débutait. Leur courage, désormais manifeste, continuerait à éclairer d’autres ombres, ailleurs. Les anciens veillaient, et dans leur sillage, étoile minuscule et grimoire retrouvé, Sylvena et son monde magique pouvaient rêver, cette nuit-là, à la plus éclatante des harmonies retrouvées.